LA COMMUNE DE CAMBRAI

             Dans le mémoire que le Magistrat de Cambrai produisit dans le procès qui l’opposait à l’Archevêque Léopold Charles de Choiseul, qui réclamait en 1766, ses droits anciens de souveraineté temporelle, on prétendait que la Cité de Cambrai a toujours été une franche commune, et le Magistrat faisait remonter ces prétentions à la domination romaine, pendant laquelle la Cité avait son Sénat particulier, qui, sous la direction des officiers de l’Empereur, rendait la justice et percevait les impôts ; prétentions qu’on ne pouvait naturellement appuyer par des textes contemporains, mais par la tradition qui faisait également remonter l’origine des quatre hommes choisis par les échevins pour administrer la Cité, aux quatuor viré des Romains.

            Il est un fait, qu’enrichis par le commerce que la position géographique de Cambrai (à la jonction des voies de terre et d’eau suivies par les produits venant d’Angleterre vers la France, ou de cette nation vers le Nord de l’Europe), avait permis de développer au profit des bourgeois de Cambrai, ceux-ci avaient vu de mauvais œil, (alors que leur négoce se faisait en grande partie avec la France, ou du moins, transitait par la France), leur rattachement définitif en 922 à l’Empire Germanique, après l’annexion de la Lotharingie dont faisait partie Cambrai depuis le traité de Verdun.

            Déjà à cette époque les bourgeois possédaient une milice dont certains d’entre eux étaient capitaines, tandis que l’un d’eux, le collecteur, s’occupait de recouvrer parmi eux les taxes destinées à payer les frais d’entretien de cette troupe de soldats.

            C’est à l’aide de cette milice que l’Evêque Fulbert, en 946, contraignit le Comte Isaac à quitter la Ville, et c’est avec cette milice également que l’Evêque Rothard put faire la démolition d’une forteresse d’un seigneur ennemi.

            Bientôt en 948, l’Empereur Othon, ayant confirmé à l’Evêque Fulbert la possession de l’administration de la Ville, celui-ci créait pour le remplacer dans ses attributions civiles, un prévost « prépositus curiae », choisi parmi les bourgeois dont l’organisation était ainsi reconnue. Mais en 958, les bourgeois ne veulent pas laisser entrer dans la Cité, l’Evêque Bérenger, un allemand parent de l’Empereur Othon le Grand. Les soldats de l’Empereur forcent les bourgeois à cesser cette révolte, la milice est désarmée et ses chefs sont massacrés. C’est de cette époque que l’historien allemand Reinecke fait dater la Commune de Cambrai.

            Cependant, l’organisation bourgeoise subsiste jusqu’en 965, les chefs bourgeois envoient des délégués à la Cour Impériale pour demander comme Evêque, l’Archidiacre Wibold, et à la mort de ce dernier en 967, font une nouvelle délégation en faveur du moine Rotbert.

            Il semble donc qu’à cette époque, les bourgeois jouissaient d’un ensemble de droits particuliers reconnus par les Evêques souverains de Cambrai depuis la donation d’Henri II en 1007 et auxquels on donnait le nom de Pax, expression qui dès le XI° siècle désignait aussi le territoire habité par les bourgeois ; cette Pax paraît être la genèse de la Commune bourgeoise, telle qu’elle se manifesta en 1077, en voulant être autonome et presqu’indépendante.

            C’est ce que Le Carpentier affirme aussi en disant « qu’au commencement que les évesques furent reconnus souverains de la Ville, il y avait un grand nombre de jurez que l’on nommait vulgairement communauté et Sénat de Paix, qui se rassemblaient journellement dans la maison de ville qu’ils appeloient la Maison du Jugement, pour travailler au bien public. Ces jurez, au nombre de quatre-vingt estoient pour l’ordinaire gens nobles ou de grands moyens ».

            C’est en 1077, en fait que profitant de l’absence de leur évêque Gérard II , les bourgeois établirent la Commune qu’ils désiraient depuis longtemps, et fermèrent à l’évêque les portes de la Ville. Mais les soldats de Bauduin de Hainaut firent rentrer Gérard, supprimèrent la Commune autonome, et firent de nouveau prêter serment de fidélité par les bourgeois à leur Evêque.

            C’est donc de cette époque qu’il faut dater l’apparition réelle de la Commune de Cambrai, bien avant celle de Laon que les bourgeois en révolte aussi contre le Comte Evêque, proclamèrent en 1111.

            Les bourgeois de Cambrai avaient pu cependant garder une sorte de « pax » ou gouvernement par le prévost nommé par l’évêque et même le signe de la commune, le beffroi, mais celui-ci ne devait pas tarder cependant à être détruit, au temps de Manassés vers 1096. La commune réapparait cependant en 1102, lorsque Gaucher, le concurrent de Manassés pour le siège de Cambrai, eut reconnu aux bourgeois pour se concilier leurs bonnes grâces, une autonomie intérieure et une personnalité extérieure, par une sorte de Charte que l’Empereur Henri V vint en personne en 1106 détruire, et emmener 12 otages parmi les fils des principaux bourgeois, après avoir aboli la Commune comme contraire aux droits de Dieu et de l’Empire.

            Cependant la Commune renait, les bourgeois de Cambrai ne renoncent pas ; en 1182 en effet si l’Empereur Frédéric « détruit et annule la Commune en 1182, comme contraire aux droits des empereurs et dérogeant aux dignités des évêques », deux ans après en 1184, sur une démarche des bourgeois auprès de lui, le même empereur, tout en reconnaissant aux évêques le pouvoir d’établir le prévost et les échevins de la Cité, confirme par une loi écrite, l’institution de la Maison de Paix, les droits des échevins ; l’évêque Roger qui était présent lors de la délégation des bourgeois de Cambrai, entérine en 1185 cette décision impériale par une sorte de loi définissant les rapports de l’Evêque et du Magistrat de la Cité. C’est sans doute ces deux actes qui ont fait dire à Augustin Thierry, que la commune de Cambrai peut remonter avant l’année 1127, mais ne fut constituée définitivement qu’après 1180.

            Mais ni l’Evêque ni les bourgeois n’étaient satisfaits de la situation créée. Après des alternatives de troubles et de tranquillité, l’Empereur Othon décidait en 1209 l’abrogation de la Commune et de la Pax, que son rival Philippe avait confirmées en 1205, l’Empereur Frédéric de Hohenstaufen les confirmant de nouveau en 1214, puis les révoquant en 1216, l’agitation populaire reprenait de plus belle, le tribunal de Pax appelait devant lui les clercs, au mépris des traités, et l’Evêque Godefroy devait quitter la Ville en 1225[1].

            L’Empereur cassait une nouvelle fois la Commune, et sa décision était ratifiée en 1226 par la Diète d’Augsbourg. Cependant l’Evêque Godefroy prenant le parti le plus sage, proclamait en 1227, une sorte de charte, connue sous le nom de Loi Godefroy, qui confirmait la loi de l’Evêque Roger, mais d’une façon plus explicite, et dont les bourgeois furent satisfaits.

            Elle resta en fin de compte la loi fondamentale de l’administration de la Ville de Cambrai. Mais dans un nouveau soubresaut de révolte en 1280 contre l’Evêque Enquerrand de Marigny, où les bourgeois prirent la direction complète de la ville politiquement et administrativement, s’emparant des clefs des portes de la Cité qu’ils faisaient garder jour et nuit par leurs hommes, menaçant le Palais de l’Evêque par la construction à ses abords d’un Château fort en bois qui le dominait, l’Evêque en 1284, au bout de quatre ans de troubles, fut obligé de rétablir les bourgeois dans leurs droits, décision qui fut ratifiée l’année suivante en 1285 par l’Empereur Rodolphe de Habsbourg ; le loi Godefroy avait été ratifiée en 1258 par Richard, roi des Romains.

            Cette loi Godefroy de Novembre 1227 et dont un texte latin authentique existe encore aux Archives Départementales, ne comporte pas moins de 63 articles définissant les rapports entre l’Evêque et la Cité, les pouvoirs des échevins et des prévosts quant à la justice et aux amendes, le commerce, la franchise des marchands étrangers, les impôts, etc …

            L’Evêque maintient pour lui et ses successeurs la nomination des échevins et du prévost ou de deux prévosts. L’Evêque doit prêter serment de respecter et garder les personnes et les choses des citoyens, les échevins et le prévost doivent faire serment de fidélité à l’Evêque et au Chapitre de la Cathédrale, coutume qui fut fidèlement observée jusqu’au retour à la France en 1677, et qui permet ainsi de pouvoir donner la nomenclature des échevins au moins depuis 1364, et compléter aussi la liste du Magistrat de Cambrai établie par E. Bouly de 1595 à 1773.

            Les bourgeois obtiennent en fait l’autonomie complète car si l’Evêque et ses successeurs, et en cas de vacance du siège, le Chapitre, choisissent les échevins et le prévost ; celui-ci représentant de l’Evêque, doit tenir compte sans cesse des prérogatives et privilèges des échevins.

            Des conflits surgiront encore, mais seront réglés de commun accord, entre l’Evêque lui-même ou son représentant, et les prévosts ou échevins. Sous l’arbitrage de Wallerand de Luxembourg, protecteur de la Cité, le 7 Octobre 1354, l’Evêque Pierre d’André fait accord avec le représentant du Magistrat, et en 1407, le 7 Avril, sous l’arbitrage de quatre personnes ecclésiastiques de la Ville, Pierre d’Ailly en son palais, renouvelle cet accord, après certaines discussions, avec le grand bailli, le prévost, les échevins, et de nombreux personnages, notables, laïcs ou ecclésiastiques, tous présents comme témoins.

            Il en résultait que les quatorze échevins dirigeraient l’administration communale, délègueraient deux d’entre eux pour remplir les besognes courantes d’administration financière, judiciaire et policière. Ce seraient les échevins semainiers qui auraient à leur service deux clercs ou greffiers de l’Echevinage pour dresser les actes publics, de ventes, de successions, de partages ou autres ; plus tard, des juristes experts appelés conseillers pensionnaires les aideront dans les difficultés juridiques. Les quatre hommes gouverneurs et administrateurs des biens revenus et profits de la Ville le suppléeront dans l’administration, bornage des rues et maisons par exemple. Des « collecteurs des assises » ou impôts indirects sur la bière, la vente du vin, les marchandises d’alimentation, les toilettes, les cuirs ou peaux, seront préposés à la confection des comptes avec le receveur ou les receveurs du domaine qui gèreront les finances municipales.

            On peut souligner en passant, que ces charges de receveurs collecteurs, sont des offices, achetés par les particuliers qui prennent à ferme ces diverses attributions.

Une des principales difficultés était celle du beffroi, ou plutôt de l’horloge. C’était l’horloge de la Cathédrale qui donnait en principe le signal de l’ouverture du marché. On ne pouvait y vendre ou acheter en gros « si ce n’est depuis midi sonné à Nostre  Dame sur 40 sols d’amende », « et le lendemain on ne peut acheter qu’après le grand coup de prime sera sonné. Notre Dame ». Les chanoines tenaient à cette coutume mais le Magistrat tenait à posséder son horloge particulière. Il avait bien consenti en 1354 à bâtir « entre l’hospital Saint Jacques et l’entrée du flos de la cayère », « un maisiel commun » ou marché commun de boucherie, « à ung comble seulement sans selier ou loge », c’est à dire sans étage, ni cave ni grenier « sans edifier aultre edifice pour y mettre clocque ou clocquier ». Mais ce ne fut que partie remise. En 1395, les bourgeois obtenaient de Wenceslas, roi des Romains, l’autorisation d’élever un beffroi et d’y placer une horloge. En 1510, l’Empereur Maximilien renouvela cette autorisation, au temps de l’Evêque Jacques de Croy, et malgré l’opposition assez vive du Chapitre en 1515, le beffroi et l’horloge subsistèrent.

            Et ainsi, la grosse cloche de l’échevinage, qui résonne désormais à la volonté des échevins, du haut de leur beffroi, qui semble avoir été le clocher de l’Eglise Saint-Martin au moins depuis le XV° siècle, peut annoncer les cérémonies publiques, ou autres, auxquelles participent, prévost, échevins, conseillers pensionnaires, greffier, quatre hommes, collecteurs et receveurs portant les grands draps, comme aussi les autres officiers sergent ou commis du Magistrat, dont ils portent la livrée ou uniforme, offrant ainsi de leur puissance un spectacle dont ne se lasseront jamais les Cambrésiens jusqu’à la Révolution.

C. THELLIEZ.

8 Avril 1964.

[1] Noté 1125 sur l’original de l’abbé Thelliez

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