Caullery – Novembre 1882

Émeutes autour du cimetière  

 

Le Cambrésis rural de la toute fin du XIXème siècle

        Ces événements se déroulent dans les dernières années du XIXème siècle, à Caullery, petit bourg du Cambrésis, qui comptait alors quelques 800 âmes, soit presque deux fois la population actuelle. A cette époque, les Caullerésiens vivaient très modestement de la terre et du tissage, sur des métiers à bras, que la mécanisation galopante allait rendre progressivement obsolètes. Le budget  communal était alors si modeste que le conseil municipal s’était toujours refusé à transférer son cimetière hors de l’agglomération, tel que l’exigeait la loi du 23 prairial an XII (12 juin 1804) et l’ordonnance du 6 décembre 1843. Le cimetière était donc encore au cœur du village à quelques pas de l’église. Il y avait même été sensiblement agrandi en 1859. C’est là, autour du vieux cimetière de Caullery bordé de haies, où nos défunts sont censés reposer en paix, qu’à la fin Novembre 1882, se déroulèrent des émeutes que la mémoire des anciens a difficilement oubliées.

Un quart de protestants

En cette fin du XIXème siècle, un bon quart de la population Caullerésienne était de confession protestante. Rassemblés autour de quelques familles issues de la communauté protestante de Walincourt et de Quiévy, les protestants de Caullery occupaient principalement la rue d’en bas, aujourd’hui rue Charles Gide, et la rue du temple, devenue en 1937 la rue Pasteur (nos anciens, malgré des temps difficiles, ne manquaient pas d’humour !). Ils disposaient depuis le début du siècle d’un lieu de culte, aujourd’hui abandonné. Ils avaient acquis depuis presque un siècle ; plus exactement depuis l’édit de tolérance du 29 novembre 1787, et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, le droit d’être enterrés dignement. Jusque là, les protestants devaient être enterrés discrètement, souvent de nuit, dans leurs jardins, ou leurs granges. Les curés enregistraient alors les décès sur leurs registres, avec des mentions telles que : « L'an mil sept cent cinquante quatre, le dix-sept de janvier est décédé « X », hérétique déclaré ou plutôt sans aucune religion mais obstiné contre l'église catholique, âgé de soixante-douze ans et enfoui dans son jardin le dix-huit du même mois. », ou « L’an mil sept cent soixante un le treize de février est décédée « X », hérétique déclarée et apostate, âgée d'environ soixante-six ans, veuve de « Y » ancien huguenot, séducteur de laditte femme, inhumée comme luy, dit-on dans son étable, sépulture ordinaire et digne de pareils gens. », ou encore « L’an mil sept cent soixante-six, le dix-huit de novembre est décédée « X », vieille huguenotte de cette paroisse et inhumée par ses confrères hérétiques dans son étable à vaches ou son jardin, sépulture ordinaire et digne de pareils gens. » …

Deux communautés qui vivaient et mouraient séparées

Un siècle plus tard les tensions entre les deux communautés s’étaient apaisées. Entre-temps, nos concitoyens avaient vécu la Révolution, l’Empire et ses guerres, la Restauration, les Cent-Jours, la Révolution de 1848… La France venait de récupérer Nice et la Savoie. Les estropiés de la guerre de 1870 contre les Prussiens étaient revenus au village. Mais les familles ne se mêlaient toujours pas, et gardaient encore vivace le souvenir des conflits passés. Protestants et Catholiques restaient séparés jusqu’après la mort. Ainsi, en 1882, même si une loi récente prévoyait la fin de cette ségrégation, le cimetière de Caullery était-il toujours composé d’un carré protestant au Sud, et d’un carré catholique au Nord, séparés par un fossé de démarcation artificiel. Chaque carré disposait de son entrée particulière. C’est dans ce cadre qu’allaient brutalement ressurgir au seuil du XXème siècle, des haines à peine oubliées, entre les deux communautés religieuses de Caullery…

Le décès d’une jeune innocente

            Dans la nuit du 21 au 22 novembre 1882, malgré les soins désespérés de sa jeune mère protestante de 20 ans, une enfant de 15 jours décédait rue du temple à Caullery.

Comme l’y autorisait la nouvelle loi, le pasteur demanda à pouvoir l’enterrer dans le cimetière catholique, dans une tombe voisine de celle d’un jeune enfant décédé peu auparavant. Le maire était absent, et son adjoint, craignant de blesser les catholiques, refusa qu’on creuse une tombe protestante dans le carré catholique. Les huguenots, emmenés par leur ministre, protestèrent. Ils insistèrent avec véhémence. Alors, face au blocage, et pour dégager sa responsabilité l’adjoint alla demander l’avis du Sous-préfet. Ce dernier répondit que la loi les autorisant on ne pouvait s’y opposer. L’adjoint se trouvant de nouveau embarrassé, réunit le Conseil pour avoir son avis et cette assemblée décida qu’il y avait lieu de leur laisser le champ libre.

            Henri, le fossoyeur, s’employa au creusement. Mais la nouvelle se répandit qu’allaient reposer dans deux tombes voisines deux enfants n’appartenant pas à la même religion. Scandale. Les Caullerésiens catholiques allaient s’y opposer par la force. Le fossoyeur communal cessa de creuser la petite tombe dans le carré catholique, et le Conseil municipal n’insista pas.

            Après quatre jours d’attente, on autorisa les protestants à creuser eux-même la petite sépulture. C’est Abel ARPIN, tisserand de 65 ans, oncle paternel de la jeune mère, qui prit la bêche. Mais, quelques femmes veillaient, et lui interdirent l’accès au cimetière catholique toute une nouvelle journée.

Des émeutes au cimetière

            Le sous-Préfet informé sans doute de la résistance des catholiques envoya le lendemain la gendarmerie de Clary, mais dès le matin le cimetière était gardé par les quatre cinquième des femmes de la commune et aussi par un bon nombre d’hommes. Les gendarmes retournèrent chercher du renfort et revinrent en brandissant sabres et revolvers. Dans l’échauffourée qui s’ensuivit une femme reçut un coup de sabre. Les catholiques devenus furieux utilisèrent des bâtons et des pieux et firent reculer la brigade. La foule qui avait rebouché la fosse s’était massée entre les tombes. Le brigadier fit alors télégraphier à Cambrai et vers 3h de l’après-midi le Procureur de la République, son substitut et le sous-Préfet arrivèrent accompagnés d’une brigade de onze hommes en arme de la gendarmerie de Cambrai. Pour faire évacuer le cimetière les gendarmes s’avancèrent sous une grêle de pierres, et s’engagèrent dans un nouveau corps à corps. La foule grondante continuait à cerner la nécropole évacuée. Il fallait trouver une solution.

Inhumée au fossé

             Finalement on n’enterra la fillette, ni chez les uns, ni chez les autres, mais au fond du fossé mitoyen. Les manifestants avaient triomphé. Quelques mères de famille furent inquiétées, mais seul un homme fut reconnu comme le plus coupable. Accusé d’avoir menacé le brigadier et d’avoir répondu brutalement au Procureur, il fut arrêté et emprisonné à Cambrai.

             Cette petite fille enterrée dans le fossé mitoyen de l’ancien cimetière de Caullery, se nommait Adèle ARPIN. Née le 7 novembre 1882 d’une fille mère prénommée Palmyre Virginie, elle devait décéder le 21 novembre, pour n’être finalement inhumée que le samedi 2 décembre 1882.

Bien qu’il n’ait jamais reconnu l’enfant, nous savons que le père était également issu d’une famille protestante. Il se maria en septembre 1883 avec une autre prétendante que Palmyre Virginie ARPIN, et ajouta 11 autres petits protestants à la communauté de Caullery. Seul son fils aîné, né en septembre 1881, un an avant cette histoire, et avant le mariage de ses parents, fut baptisé à l’église catholique.

Déplacement du cimetière

            Ces événements tragiques de l’automne 1882 hâtèrent le transfert du cimetière Caullerésien vers la périphérie du bourg. L’ancien cimetière ne fut plus utilisé que quelques années, jusqu’en 1890. Il fut nivelé peu de temps avant la guerre de 1914. Après la guerre, la place verte qui l’avait recouvert abrita la tente qui remplaçait l’église démolie (cf. Carte Postale ci-jointe). En 1952, une salle des fêtes fut construite sur cette place verte, à l’emplacement de l’ancien cimetière. Baptisée salle « Blanche Neige », la salle des fêtes de Caullery, tout récemment reconstruite, faisait-elle référence à la petite innocente inhumée si difficilement 70 ans avant sa construction ? Etait-ce une simple ironie de l’histoire ? Nous l’ignorons, mais garderons en mémoire le souvenir de la petite Adèle ARPIN, lorsque nous irons danser à Caullery.

Puisse le rappel de ces événements tragiques nous aider à chasser l’esprit sectaire, et l’intolérance dont firent preuve nos aïeux, grands-parents de nos grands-parents, voici juste 4 générations.

Philippe Cattelain

                Avec mes remerciements particuliers pour leurs précieuses informations à Madame Odette Mairesse, et Messieurs Jean Brillet, Pierre Cattelain, Michel Lekieffre, Marc Maillot.

(Collection de Pierre Cattelain)

Sources :

Registres d’Etat civil de Caullery, et Walincourt (relevés de P. Cattelain et M. Maillot)

 notes d’Emile Vitou, maître d’école et secrétaire de mairie à Caullery, en 1882,

« Le bulletin laïque » du comité permanent d’action laïque de Caudry - n°3, mai 1960,

« Histoire de Caullery », par le chanoine Thelliez, archiviste diocésain de Cambrai, 1962,

mémoire et tradition orale des anciens du village.