LA COMMUNAUTÉ DE CAULLERY

La communauté sous l’Ancien Régime. - Ses coutumes, son administration, la Loy, la Justice, les impôts, les délassements.

Dès que la seigneurie de Caullery et la mairie qui en était le fief furent devenues sa propriété effective, le Chapitre installa à la t^te de la communauté des habitants un mayeur et des échevins qui composaient la Loy, sous la haute direction du Bailli du Chapitre . A la vérité, pendant quelques temps encore, la mairie resta aux mains d’un sire de Caullery, mais c’était en tant que locataire ou commissionné par le Chapitre. Par le fait d’un terrage ou impôt foncier qui était attaché à la mairie, par le fait des amendes, des droits afférents aux mutations, ventes, héritages, partages, qui devaient s’effectuer obligatoirement, pour être valables, devant le maire et ses hommes terriers, c’était une certaine source de revenus, pour laquelle Gilles de CAULLERY et Williame Le Clerc, de Saint-Hilaire, reconnurent, vers 1340, devoir une somme toute symbolique de 13 deniers cambrésiens au Chapitre qui leur avait cédé à ferme la mairie, lorsqu’ils entraient en fonctions ou en sortaient (Bibliot. com., Ms 1213).

Mais, dès 1357, on voit apparaître le nom du mayeur Colin Canonne, choisi par le Chapitre parmi ses fermiers, comme il le fera par la suite, ou du moins parmi les membres de leurs familles, et les noms des échevins : Williame Tafin, Josse Michaut, Mahieu Canchon, Piérart Pruvost et Jehan Catoire sont les premiers connus de ces notables qui devaient toujours répondre à l’appel du mayeur, au nombre de trois au minimum, pour que les actes de juridiction faits par le mayeur fussent valables.

Dans ce temps où il était admis par la coutume que les terres nobles ou fiefs aliénés pouvaient être retraits, c’est-à-dire revendiqués par des membres de la famille qui avait vendu ou cédé, on entourait d’une certaine solennité les transactions de vente, d’achats ou de partages des autres terres pour bien marquer dans l’esprit des vendeurs, des acheteurs ou des héritiers que ces actes étaient définitifs et sans recours.

En présence du mayeur, le vendeur devait mettre la main à rain, c’est-à-dire sur un bâton ou une motte de terre, par trois fois, pour signifier qu’il se déhéritait, qu’il déguerpissait de la terre ou de l’héritage qu’il abandonnait, et que ni lui ni ses successeurs ou ayant cause n’y avaient plus aucun droit. Ces formalités accomplies, le mayeur mettait en mains de l’acheteur ou du bénéficiaire du partage ou de la succession le bâton ou la motte de terre représentant l’objet de la transaction et les échevins présents, à la demande du mayeur, déclaraient que l’acheteur ou bénéficiaire en était vraiment werpi et adhérité, c’est-à-dire bien entré en possession. Un acte sur parchemin, signé du mayeur et des échevins, en était rédigé en double partie, reliée par les majuscules CHIROG, signifiant Chirographe ou écrit à la main. On coupait le parchemin par le milieu des lettres pour donner une partie à l’acheteur qui le conservait, l’autre était déposée dans le coffre ou ferme des mayeur et échevins, qui était clos par trois serrures, où l’on conservait précieusement ces documents. L’adaptation de ces lettres des deux parties, lorsqu’une revendication ou contestation avait lieu, prouvait l’authenticité irrévocable du document.

En général, c’était d’après une convention faite sur papier, signée par les parties, dénommée embrévure, que l’on rédigeait ensuite l’acte passé devant la Loy, obligatoirement, pour qu’il fut valable officiellement.

Le chirographe et l’embrévure étaient écrits par le même greffier, dont la nomination à cette fonction était mentionnée par le Chapitre, tout au moins pour Caullery et Montigny, qui étaient ses possessions. Le greffier résidait ordinairement à Clary et l’on faisait appel à lui aussi bien à Ligny, Elincourt, Selvigny parfois, comme à Clary. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, les greffiers n’inscrivent pas leur nom sur les actes, embrévures ou chirographes. A partir de 1601, P. Taisne, greffier juré, dont l’écriture semble montrer qu’il est l’auteur de passablement de documents précédents, met sa signature, qui alterne jusqu’en 1618 avec celle de Nicaise Millot, puis avec celle d’Antoine Boursier, qui est remplacé à sa mort, le lundi 5 février 1680, comme scribe de basse justice de Montigny et Caullery (Ms 1091, f° 263 v°), par Etienne Gave. Le 6 juillet 1722, à sa mort, Jean-Paul Gave, son fils, le remplace et jure de conserver les droits du Chapitre (Ms 1097, f° 55 v°). Le 11 may 1741, on confirme à Jean-Baptiste Gave sa succession comme scribe de Caullery et Montigny; mais on lui enjoint de rapporter au greffe de la Tour du Chapitre toutes les embrévures faites au temps de son père défunt et, chaque mois, toutes celles qui auront été faites pendant le mois (Ms 1099, f° 211, 213, 250). Il habite alors Montigny. A partir de 1759, il est remplacé par Philippe-François Denimal ; c’est sans doute pour le rappeler à l’ordre, comme les autres scribes à qui le Chapitre enjoint, le 28 avril 1761 (Ms 1099, f) 213), d’être fidèles à rapporter au greffe du Chapitre les embrévures de chaque mois. Dès 1773, c’est J.-B. Trachet, le clerc du village, qui écrit les actes de la Loy. Dès 1786, après sa mort, c’est Hubert Dolez qui le remplace comme clerc et comme greffier et le restera au moins jusqu’aux abords de la Révolution.

Pour avoir été présents à l’accomplissement de ces " debvoirs de Loy " et avoir apposé sur les chirographes leur signature ou leur marque, quand ils ne savaient écrire : croix, hache de charpentier, herse de laboureur, les échevins percevaient un certain salaire, 4 sols chacun ordinairement. Ils recevaient aussi une certaine part des amendes qu’ils imposaient avec le mayeur; avec lui, ils rendaient la justice pour les cas que l’on appelait récemment encore de justice de paix, et qui constituaient la justice basse laissée aux soins de la Loy de la communauté. Il arrivait qu’ils devaient réclamer au Chapitre leurs salaires, pour lesquels ils fournissaient des comptes (Ms 1072, f° 56). Mais on pouvait appeler de leur sentence auprès du Bailly du Chapitre, résidant à Cambrai, et qui fut souvent le seigneur du Sartel. Au bailli sous le contrôle du Chapitre et par sa délégation revenaient les procédures de vols importants, de rapts d’individus, d’escroquerie, même de meurtres, qui constituaient la justice moyenne et haute réservée à la seigneurie du Chapitre.

Délégué ou envoyé par le Chapitre, le Bailly faisait sur place ses enquêtes et emmenait, le cas échéant, les délinquants dans la prison du Chapitre, appelée la Tour, qui existe encore à Cambrai, en la petite rue Vanderburch, et sert de bâtiment à la loge depuis la Révolution.

C’est là que les registres capitulaires (Ms 1058, f° 126) font mention de l’internement de Jehan Joly en 1447, d’Aubert Lefebvre de 1687 à 1689 principalement; de même, en 1695, d’une femme de Caullery dont on ne dit pas le nom, suspectée de vol et qui devra répondre aux interrogatoires du bailli, M. de Hertaing (Ms 1093, f° 69).

Dans ses enquêtes, le Bailly était aidé non seulement par les sergents à pied ou à cheval, officiers du Chapitre résidant à Cambrai, mais aussi par le sergent de la communauté de Caullery, personnage subalterne, mais cependant important aux yeux des habitants, auprès de qui il avait mission de faire la police. On en connaît que quelques noms.

Institué par le Chapitre, ce " serjeant " (seviens, en latin) était commissionné pour les deux communautés de Caullery et de Montigny la plupart du temps et portait la livrée, costume ou uniforme du Chapitre. Au 12 juin 1673, le Chapitre fait faire par Martin Cordelois une " casaque " qui coûte 18 florins 3 patars pour le " serviens " de Caullery et Montigny, Jean Le Fort (Ms 1071, f° 68). A Jean Carlier, nouveau sergent de Caullery et Montigny, est livrée une casaque le 4 septembre 1684 (Ms 1091, f° 25). Le 14 mars 1727, à Daniel Gibot, nouveau " serviens " à Montigny et Caullery, on fournit casaque et baudrier et on lui donne les " émoluments ordinaires ", et de même le 23 avril 1742, bien qu’on peut lui reprocher certaines défaillances (Ms 1098, f° 248). Le salaire qui lui était alloué ordinairement ne devait pas être très élevé, mais le Chapitre compensait. Ainsi, le 8 juin 1531, il donne 15 sols à Julien Milot, sergent de Caullery; en juin 1539, il lui donne un mencaud de blé, à cause de son extrême pauvreté (Ms 1069, f° 236). A Jean Le Fort, en 1673 (Ms 1091, f° 112), même allocation. Le 7 avril 1567 (Ms 1074, f° 73), le Chapitre, par faveur, avait accordé 4 livres de subvention au serjeant de Caullery et Montigny; de même, le 23 novembre 1571, au " serviante " de Caullery, il accorde 60 sous. En 1715, il donne 3 florins, 40 patars en 1716, 48 patars en 1717, tois fois 48 patars en 1718; la même somme lui est allouée par deux fois en 1720 et en 1721. Avec les droits qu’il recevait de par ailleurs pour ses vacations, du Chapitre, de la Loy ou des habitants, avec la part des amendes qui lui revenait, le sergent arrivait sans doute à vivre.

Dans le zèle qu’il déployait, il lui arrivait parfois des mésaventures. Tel en 1454 (Ms 1059, f° 87), le sergent, qui avait empêché le bétail de certains de paître sur 40 mencaudées de terres appartenant à l’abbaye de Cantimpré. Ces terres étaient de la juridiction du Chapitre, mais on se souvient que Louis de CAULLERY, en 1306, en avait dû reconnaître la possession à l’abbaye de Cantimpré. Celle-ci fit appel au bailli de Walincourt pour protester contre cet abus de pouvoir fait par le sergent du Chapitre; et le sergent avait été emmené captif à Walincourt. Le Chapitre dut y envoyer Pierre Fiefvet, un de ses sergents de Cambrai, pour ramener le captif à Caullery et porta la cause devant la justice pour faire reconnaître ses droits seigneuriaux sur ces terres.

Quelques années auparavant, en mars 1452 (Ms 1059, f° 14), le sergent avait fait l’objet de plaintes auprès du Chapitre par un certain Robert de Rondt et d’autres habitants de Caullery, parce que, soi-disant, il avait transporté chez lui des fagots venant des bois du Chapitre et qu’il se permettait de faire paître ses brebis dans les blés et les avoines des plaignants. De plus, d’accord avec le mayeur, il avait envoyé chez eux les archers du château de Beaurevoir pour les menacer. Le Chapitre, content de ses services, résolut de compenser lui-même les dépenses ou dégâts, s’il y en avait, et conclut l’affaire en laissant son sergent tranquille " pour le bien de la paix ".

Celui-ci, l’année suivante, surprenait Gilles Ramette coupant un arbre dans le bois du Chapitre et le faisait obliger, par le bailli, à replanter deux baliveaux à la place.

Cependant, le sergent Jean Carlier, en 1686, dut comparaître devant le Chapitre pour les excès de zèle, sans doute, en tout cas pour les abus qu’il avait commis (Ms 1092, f° 62). Il dut quitter sa charge, mais cependant, le 26 décembre 1694, le Chapitre lui remettait une somme de 3 florins 5 patars qu’il n’avait pu lui acquitter à cause de sa pauvreté. Le Chapitre n’ayant plus alors de moulin à Caullery avait passé à M. de Prémont, pour une période de neuf ans, le droit exclusif de moudre les grains des habitants de Caullery et de Montigny, en son moulin d’Audencourt, et le sergent avait mis beaucoup de zèle à arrêter et saisir les chevaux des autres meuniers qui cherchaient des grains, à Caullery et Montigny, pour les moudre dans leurs moulins. Il avait, également en 1686, exécuté les ordres du Bailli, obligeant les habitants, au son de la cloche, à rentrer chez eux à l’heure fixée " à la retraite ", les soirs de Pâques et de Saint-Rémy, ce qui n’avait pas été sans mécontenter les intéressés.

Choisi et nommé par le Chapitre à qui il prêtait serment et fidélité, le Mayeur jouissait de toute sa confiance. C’est ainsi qu’en 1451, on s’en souvient, lorsque les habitants, de Rondt et les autres, l’accusèrent, auprès du Chapitre, d’avoir coupé et enlevé de son bois pour s’en servir dans sa maison, comme aussi les échevins et le sergent, d’avoir aussi fait paître ses bêtes sur les avoines ou mars de ses administrés et de les avoir fait menacer par les archers de Beaurevoir qui étaient peut-être les gendarmes du temps, le Chapitre avait décidé de ne pas tenir compte, sauf indemnisation s’il y avait lieu, des dénonciations qu’on lui avait faites, parce qu’il était satisfait de la " Loy de Caullery ".

Mais le mayeur représentait auprès du Chapitre la communauté dont il avait la charge et n’hésitait pas à prendre sa défense, tel en 1463 (Ms 1060, f° 163). Lorsque sans doute il lui avait semblé que le Chapitre n’avait pas respecté les coutumes, il lui fit représenter une charte qu’il conservait dans le ferme. Cette charte, qui avait peut-être été accordée par les anciens seigneurs, et dont on ne connaît pas malheureusement le texte, fut collationnée par les juristes du Chapitre et reconnue valable et les droits de la communauté restèrent acquis.

Parfois, le mayeur devait lui-même, avec ses échevins, prendre des décisions importantes pour préserver la liberté de certains membres de la communauté et parer aux conséquences plus que fâcheuses amenées par la guerre. Les péripéties de la guerre que depuis trente ans la France devait livrer contre l’Espagne et l’Empire n’avait pas été sans causer des désastres en Cambrésis. Caullery n’avait pas été épargné; les récoltes des laboureurs avaient été détruites; certains habitants, pris de peur, s’étaient mis à l’abri derrière les fortifications de Cambrai. L’argent manquait à la communauté de Caullery pour faire face aux réquisitions des belligérants.

C’est ainsi que Simon Preuvost et Jean Lamouret, échevins, étaient en prison pour dettes en 1644. Ils s’étaient engagés comme cautions en 1639, pour la communauté, lorsqu’il avait fallu emprunter 150 florins à Jean-François Lescouffe, bourgeois de Cambrai, dont les parents, d’ailleurs, étaient originaires de Caullery. Mais n’étant pas payé en 1644, Jean-François Lescouffe avait fait enfermer à la prison de la Feuillie, à Cambrai, les deux échevins, cautions de l’emprunt qui lui avait été fait. C’était la coutume de faire emprisonner les débiteurs défaillants, pour les obliger à s’acquitter de leurs dettes.

Le mayeur de Caullery fut donc mis en devoir d’agir pour libérer les prisonniers. Ayant obtenu l’autorisation du Chapitre, il sollicita avec ses échevins, Paris Taisne, Urbain Leducq, Simon Prévost et Jean Lamouret, " tous manans et habitants dudit Caullery " auprès de Pierre Crespin, aussi bourgeois de Cambrai, qui avait aussi des attaches familiales à Caullery, le prêt d’une somme de 400 florins. C’était " pour diverses debtes ", dont le règlement de la somme de 150 florins et des intérêts, " pour les tailles dittes du Prince Cardinal ". L’Archiduc Infant Albert, qui gouvernait les Pays-Bas, venait d’imposer à tout le Cambrésis un impôt extraordinaire des tiné à refaire les fortifications de Cambrai et pour " furnir aux frais des dits emprisonnements ".

Pierre Crespin fournit donc la somme de 450 florins qu’il plaça au nom de Catherine Crespin, sa nièce, à rente de 25 florins par an, que le mayeur et les échevins et autres " manans " s’engagèrent, tant en leurs noms privés que se portant fort de tous ceux de leur communauté, à rembourser cette somme au prêteur ou au porteur de la lettre de rente, dès qu’ils en seraient sommés. En fait, il fallut presque un siècle pour que la communauté de Caullery fut quitte de cette dette qu’elle avait contractée dans l’union de tous pour subvenir aux calamités qui l’avaient assaillie. Simon Preuvost et sa femme Marguerite Labbé, peut-être parce qu’ils étaient intéressés, avaient même hypothéqué, pour sûreté de cette rente, trois mencaudées de terres labourables qui leur appartenaient.

Mais ce fut seulement le 4 juillet 1742, après divers changements de propriétaires de la lettre de rente, qui avait fini par être en possession " de l’abbaye de Presmy ", que le receveur de l’abbaye, Laloyaux, rendit à la communauté la lettre de crédit, en inscrivant qu’il venait de recevoir " du mayeur et des échevins de Collery cincquznte et un florins quinze patars pour parfait payement des deniers capitaux de la susdite constitution, consentant que la contrepartie de cette soit retirée du ferme pour être cassée et annulée ".

Pour augmenter la population sur sa terre de Caullery, le Chapitre y installait des gens venus du dehors. C’est ainsi que le 9 octobre 1485 (Ms 1061, f° 234), il avait acquiescé, on l’a vu, à la demande d’un Français d’origine de bâtir une maison en dehors du village où il pourrait résider avec sa femme. On sait qu’entourée par des haies vives dont certaines subsistent encore, l’agglomération se groupait dans une sorte d’enclos. Masi sa femme était atteinte de la lèpre, maladie bien ancienne et redoutée, parce qu’elle était incurable et contagieuse. Malgré les prescriptions légales, les précautions minutieuses dont faisaient l’objet les lépreux, réclusion forcée dans des maisons isolées, défense de prendre aucun contact avec d’autres, vêtements spéciaux, clochette ou crécelle pour avertir de leur passage, la lèpre restait une des maladies les plus cruelles qui affligeaient l’humanité.

L’installation de cette femme lépreuse, même en dehors du village, dut émouvoir la communauté; le mayeur dut faire part au Chapitre de cette émotion et c’est ainsi que celui-ci décidait, le 12 octobre suivant 1485, que cette maison devait être érigée suivant les directives de son bailli, comme il était de coutume, et que le droit du Chapitre serait respecté.

C’est ainsi que fut installée à Caullery cette maison des lépreux ou maladrerie qu’on retrouve dans presque toutes les autres communes, mais dont le souvenir même est disparu de la mémoire de sa population. Il est difficile, en effet, de préciser l’endroit exact où se trouvait la " madrie ".

En tout cas, il semble que, dès 1592, son existence n’était plus nécessaire. C’était sur une terre de l’Eglise, confiée à l’administration des marguilliers, que la maladrerie avait été bâtie. Le 19 février 1592, Olivier Le Maire, receveur et administrateur des biens de l’Eglise, en présence du Mayeur Quentin de la Fontaine, cédait à titre d’arrentement, pour 99 ans, à Quentin Wagon et Jehenne la Fontaine, sa femme, " tout un jardin lieu pourpris et héritage nommé la maladrie, séant au village de Caullery ".

Ce jardin tenait de lisière au waresquaix, c’est-à-dire à la rue, d’autre au jardin de la veuve et héritiers Jehan Milot, d’un bout au jardin Quentin de la Fontaine, d’autre aux terres Messieurs, c’est-à-dire du Chapitre. Wagon et ses héritiers devaient payer pour cet arrentement vingt pattars au jour de Noël.

Mais "s’il advenoit qu’aulcuns nay et natif du lieu vînt à rentrer et engendrer maladie de méseau ou ladre ledit Wagon et ses ayans cause devraient livrer lieu et place pour faire bastir une petite maison au boult dudit gardin". La rente de 20 patars appartiendrait au malade; Wagon ne serait pas obligé de bâtir la petite maison à ses frais, mais devrait communiquer les dépens au village (Actes de l’Echevinage - Chirographe parchemin).

Il ne fut jamais question, par la suite, de bâtir cette maison; dans les textes, il n’y en a plus d’autre mention que celle faite le 11 novembre 1620, lorsque Claude Lenglet acheta à Pasquette Féron une boistelée de jardin, "où qu’elle faict sa résidence et demeure", tenant d’un bout à la Maladrerie, et par, devant, au warescaix des seigneurs et, de lisière, au jardin de l’acheteur.

La rue ou waresquaix qui menait à cette maladrerie est appelée par ailleurs rue Laderière; est-ce à cause des Laderrière qui, en 1620 également, faisaient rebâtir leur maison qui tombait en ruine et décadence, avec l’argent d’une demi-mencaudée de terre labourable qu’ils venaient de vendre à Philippe Ramette, ou bien parce qu’elle était derrrière le village que cette rue est ainsi désignée ? La rue Ladrière est identifiée par le texte de partage testamentaire fait le 15 janvier 1788, par-devant Leducq, notaire à Prémont, par Jean-Louis Mairesse, fils de Pierre-François et de Marie-Barbe Lenglet, qui mourut célibataire à l’âge de 84 ans le 14 mars 1792 (Archives de famille Mairesse-Thelliez). Dans ce partage qu’il faisait entre Pierre-Henry Mairesse, son neveu, et ses nièces, Marguerite, femme de Pierre-Louis Ramette, et Marie-Catherine, il est fait mention d’un passage depuis la rue dite vulgairement "ladrière" jusqu’à la maison de Marguerite Mairesse qui était, il y a quelques temps encore, la demeure Devémy Ramette, au bout de la rue du Couvent; de même, on y mentionne un puits auprès d’un noyer, puits qui a été comblé après la guerre de 1914. Ce partage ne laisse aucun doute sur l’emplacement même de la rue de Laderière qui s’est appelée rue du Sac, mais ne donne pas l’endroit exact où fut bâtie la maladrerie, dont personne ne se souvient plus à Caullery, depuis longtemps.

Parmi les droits seigneuriaux d’avant la Révolution figurait le droit de vent, c’est-à-dire le droit exclusif de construire un moulin. Cela remontait peut-être aux premiers temps du Moyen Age; les habitants devaient obligatoirement y faire moudre leur blé, de même qu’ils devaient faire cuire leur pain au four seigneurial, qu’on appelait l’un comme l’autre banal, parce qu’on y était obligé par ban ou loi. Cela avait l’avantage, pour le moins du four commun, qu’il faisait éviter de graves risques d’incendie, du fait que les maisons, à l’époque bâties en grande partie de torchis et de bois, couvertes de chaume ou paille, étaient vulnérables de la moindre étincelle. Cette banalité, du moins pour le moulin, exista jusqu’à la Révolution; dès la fin du XVIe siècle, beaucoup de particuliers, ayant leur maison construite en pierre ou dur, obtinrent de posséder un four chez eux à demeure.

Cependant, suivant le docteur Bombart (Mém. Sté d’Emulation, L. III, 1899), en 1742, le Parlement de Flandre, sur plainte de M. de Villers au Tertre, Seigneur de Ligny, dont les habitants ne voulaient pas faire moudre leur blé à son moulin, rejeta la requête du seigneur, qui la fondait sur un titre de 898, donation de Charles le Simple de la seigneurie de Ligny à l’évêque de Cambrai, en signifiant " qu’il n’y avait pas de moulin à vent à ce temps là ".

Si M. de Villers au Tertre avait pu produire les comptes de la seigneurie de Ligny faits en 1459, le Parlement de Flandre aurait pu modifier son avis en constatant que par contrat, le 1er octobre 1456, Jehan le Grue avait pris à cense pour trois ans " le molin avent de laditte ville de Ligny en Cambrésis appartenant à mon dit seigneur ". C’était à l’époque un Luxembourg-Fiennes, Jacques, bienveillant ou protecteur de Cambrai, qui était à la fois seigneur de Marcoing et Ligny (Ms 1399-Bque de Cambrai). On sait que la seigneurie de Ligny, venue en héritage dès le XIIIe siècle aux Luxembourg, resta dans cette famille du moins en la descendance, jusqu’en 1590, où elle fut vendue le 19 avril, pour 13.800 florins, à Antoine de Vilers au Tertre et Marguerite ou Madeleine d’Anneux, sa femme, par Lamoral d’Egmont, dont la trisaieule Françoise de Luxembourg, dame de Marcoing et de Ligny, avait épousé Jean d’Egmont.

Quoi qu’il en soit, le Chapitre de Cambrai avait aussi son moulin à Caullery, non loin du village. Il fut détruit à plusieurs reprises au cours des guerres nombreuses du XVIe siècle et du XVIIe siècle. C’était peut-être le même moulin cité vers 1340 et appartenant au seigneur encore existant (Ms 1213 – Bque de Cambrai). Cependant, d’après les actes échevinaux, un Henry Le Febvre est meunier à Caullery vers 1570; son frère est mayeur de Caullery : mais il semble qu’à l’ordinaire le Chapitre afferme le moulin aux fermiers de ses terres. C’est ainsi que le 13 mars 1618 (Ms 1083, f° 135 v°), il permet à Sacrée Millot, veuve de Paris Sohier, de céder le bail du moulin de Caullery à Olivier Féron, dont les descendants resteront meuniers jusque vers 1637 au moins. Par suite des guerres, le Chapitre fait des réductions de terrage à son censier pour les années 1635 et 1636 (Ms 1086, f° 229).

Quand la paix fut revenue, après la reddition de Cambrai, en 1677, à Louis XIV et l’incorporation du Cmabrésis à la France, le Chapitre jugea peut-être trop onéreux de rebâtir son moulin. Il céda en 1683 ses droits de banalité à M. de Prémont (Ms 1092, f° 34) pour les exercer à son moulin d’Audencourt. C’était alors Charles de Sart qui était à la fois seigneur de Prémont, Elincourt, Audencourt, Villers-Guislain, Le Catelet, etc…

Mais, devant la résistance des habitants et aussi la connivence des autres meuniers, le Chapitre avait dû ordonner à son garde de Caullery et Montigny d’arrêter les chevaux de ceux qui cherchaient grains à moudre dans ces deux villages au détriment du moulin d’Audencourt de M. de Prémont, qui devait livrer par an, pendant les neuf années de cet arrangement, trente mencauds de blé au Chapitre. Peut-être à cause de cette résistance ou concurrence, M. de Prémont était toujours en retard pour acquitter cette dette. Il demande réduction; en 1686, on lui en remet la moitié, à condition qu’il paye sa dette de 1685. Il est encore en retard en 1688 (Ms 1092 passim). Finalement, en 1694, on propose au Chapitre de construire un moulin autour de Montigny et de Caullery (Ms 1093, f° 51 v°). Et, le 10 février 1710, les chanoines autorisent Jérôme Bugnicourt de Clary à prendre à cense un moulin qu’il construira auprès de Caullery et Montigny (Ms 1095, f° 193).

Ce moulin a été construit sur Montigny, amis en 1743 (Ms 1099, f° 285), le Chapitre de nouveau passe contrat avec Jérôme Bugnicourt pour construire un autre moulin à Caullery et qu’il prendra à cense. C’est sur la motte, près du jardin Billiard, que fut construit ce moulin, ou plutôt reconstruit au même emplacement, car déjà, en 1699, la ruelle du Moulin, toujours existante en partie, est citée dans les actes d’échevinage. Sin fils Alexandre lui succéda et se maria avec Marie-Th. Dron de Béthencourt. Leur fille, Marie-Catherine, épousa en 1811 Jean-Baptiste Cattelain de Selvigny, qui vint habiter, avec ses beaux-parents, rue d’En-Bas, dans la maison qui est toujours aux mains de ses descendants.

En 1811, le moulin, bâti sur 8 ares 70, était, d’après le cadastre, à côté " de la maison bâtie sur 3 ares 20 " et du jardin contenant 28 ares 70 centiares. C’était Lambert Bugnicourt, son fils, qui l’exploitait, d’où le nom de " Moulin Lambert " qu’employaient, il y a cinquante ans encore, les anciens pour parler de ce moulin, qu’on distinguait du moulin que Maillot avait occupé et du " moulin à loques ", situé au bas de Caullery, vers Selvigny, où mourait, le 30 avril 1832, René Picard, âgé de 80 ans, époux de Marie-Anne Dromby. On sait que les Rohart, ensuite, exploitèrent ce moulin, qui diqparut quand les Montadon vinrent s’y installer. C’était d’ailleurs le moment où Adolphe Vitou avait créé son moulin que beaucoup ont connu, où les meules étaient actionnées par la vapeur et non par le vent. Lui aussi, après de longs services rendus à la population, est actuellement fermé.

Un droit du seigneur, le terrage, sorte d’impôt foncier payable soit en argent, soit en nature, ne manque pas de susciter, entre le Chapitre et la communauté, de nombreux incidents, créés par les assujettis qui refusaient d’acquitter cette taxe ou en contestaient la valeur ou la validité. On se souvient que le sire d’Esnes possédait le terrage sur une certaine partie du territoire de Caullery.

Ordinairement, la perception de ce droit était concédée à ferme à des particuliers; souvent, c’était le censier du Chapitre qui se faisait aider par des employés appelés tiergeurs. Il arriva parfois même que le censier se joignît à la communauté dans son mauvais vouloir contre cet impôt, quand il ne réclamait pas pour lui-même une diminution de sa ferme par le manque à gagner de cette perception. Les registres capitulaires mentionnent à maintes époques ces discussions pour le terrage. En 1642, on se le rappelle, le maire et les échevins de Caullery avaient présenté au Chapitre, au sujet de ce droit, " une charte de leur ville " qui avait été examinée par les chanoines et reconnue exacte. En 1515, les chanoines, devant l’opposition faite à leur droit, s’occupent encore de consulter les documents qui concernent leur domaine de Caullery (Ms 1067, f° 11). Le 14 mai 1514, ils avaient dû à la fois se renseigner auprès du bailli et des juristes au sujet de l’amende qu’un habitant de Caullery avait encourue, ce qui n’avait pas apaisé le mécontentement des habitants, d’où enquête sur les documents et auprès de ceux qui discutaient ce terrage (16 octobre 1515 – Ms 1067). Mais on tenait à ce que fut respecté le droit du Chapitre contre lequele venaient de protester trop violemment certains jeunes gens de Caullery, ce qui avait provoqué leur détention (30 janvier 1516, f° 32). Le Chapitre ne tenait pas à voir prolonger leur détention arbitraire demandait au bailli de faire justice immédiate, et s’il était empêché par sa maladie, aller sur place, car mieux valait créer un autre bailli que tarder à rendre la justice. Le 1er février, ayant envoyé à Caullery quelques chanoines, on s’était mis d’accord pour que les délinquants soient libérés, à condition de verser cinq écus communs, plus les frais du procès (f° 32).

En juin 1529 (Ms 1068, f° 32), on devait entendre les habitants de Caullery, qui demandaient modération de leurs dettes et, le 14 septembre 1534, le Chapitre s’occupe encore de rechercher les documents sur les terrages (Ms 1069, f° 112). En 1549 (Ms 1072, f° 91), certains habitants ont encouru une amende qu’ils estiment trop forte. L’un d’entre eux va jusqu’à proposer au bailli de rester en prison pour un temps déterminé, plutôt que de la payer. Le Chapitre, un peu ennuyé, accepte à condition que cet accord soit fait par écrit.

En 1585, (Ms1077, f° 22 v°), nouvelle intervention judiciaire du bailli auprès de ceux qui refusent le terrage. Il devra de plus les tancer violemment.Il est vrai que la guerre les a bien éprouvés; ce qui n’empêche pas le bailli d’être molesté par les habitants et le Chapitre doit condamner les délinquants à porter des cires de trois livres à brûler en l’église de Caullery.

Fatigué de toutes ces réclamations, le Chapitre ordonne alors au mayeur de Caullery (Ms 1080, f° 68) de comparaître le 9 août 1601, devant les chanoines à Cambrai, pour recevoir des instructions afin de refaire le cachereau (terrier ou cadastre) qui détermine le terrage.

Mais le 12 août, malgré les excuses du mayeur – c’était alors Jehan Lamouret – prétextant qu’il ne peut intervenir pour renouveler le cachereau du terrage, le Chapitrelui ordonne de cesser ses tergiversations ou subterfuges et de signer le nouveau cachereau et, en même temps, de le faire signer par les échevins (f° 68). Malgré cette injonction, le Chapitre doit se résoudre, le 27 septembre 1602, à poursuivre judiciairement les censiers de Caullery et de Montigny qui refusent d’acquitter le terrage (f°97).

Il doit, de plus, l’année suivante (juillet 1603) (f° 133 v°) envoyer à Caullery deux chanoines avec le bailli et un procureur pour faire reconnaître l’authenticité du nouveau cachereau et savoir pourquoi les habitants s’opposent à cette publication.

La mauvaise volonté des habitants continue, car l’année suivante, 30 janvier 1604 (f° 166), le Chapitre ordonne de poursuivre en justice les habitants de Caullery qui refusent, comme ceux de Carnières d’ailleurs, de reconnaître l’authenticitéde ce cachereau en y apposant leur signature.

Les choses s’arrangèrent sans doute par la suite. Cependant, les registres capitulaires notent au 10 juin 1734 (Ms 1098, f° 405) que deux chanoines doivent aller au monastère de Honnecourt pour y parcourir et examiner le cartulaire de Caullery, dont les renseignements auraient été pour nous si précieux s’il existait encore. Au 7 août 1747 (Ms 1099, f° 233), à la suite du refus du fermier de Caullery de payer ses redevances et de l’animosité manifestée par certains habitants, le Chapitre invite le Bailli général à s’arranger avec la communauté au mieux de ses intérêts. Intérêts sur lesquels il veille avec vigilance, comme le 16 novembre 1744, où il charge son grand ministre de " s’inforer sur quelle juridiction se trouve le chemin du territoire de Caullery, dans lequel certains habitants ont fait des usurpations pour lesquelles ils sont traduits devant le bailli de Walincourt (Ms 1099, f° 340).

Un autre impôt qui était à la charge, sinon de la communauté, du moins des taverniers, cabaretiers ou " hostellains ", étaient le droit d’afforage, c’est-à-dire l’impôt qu’on devait acquitter pour mettre en vente le vin ou la bière. Il n’est pas sans souci non plus pour le Chapitre. En 1512, il a dû envoyer son bailli briser les mesures d’un tavernier parce qu’elles n’étaient pas conformes, et cela sur la plainte des habitants. Aussi le voit-on louer son droit d’afforage à son bailli dès 1617 (Ms 1082, f° 347), qui est le seigneur du Sartel, Robert Pelet. Celui-ci prend d’ailleurs à ferme les mêmes droits pour Montigny, Carnières, Castenières, Avesnes-les-Aubert, Caudry et Niergy. Il succède à Pierre Legier, le fermier précédent, et s’engage, pour trois ans, à payer 50 livres par an au Chapitre. Il afferme encore le même droit pour toutes les communautés en février 1629, pour le même laps de temps et aux mêmes conditions (Ms 1085, f° 154).

En 1686, c’était à l’un de ses sergents équestres, Pierre Lenglet, que le Chapitre avait donné pour trois ans, le même fermage à raison de 24 florins par an (Ms 1081, f° 45). Il lui avait donné en même temps, pour 6 florins par an, son droit de terrage sur Montigny. Comme on le voit, ce droit était de minime revenu.

Quoi qu’il en soit, à la communauté, c’était au prône de la messe paroissiale du dimanche que les nouvelles officielles étaient communiquées, tandis que du haut de la bretèque, sorte de balcon érigé au-dessus du porche de l’église, lorsque les habitants se réunissaient à l’issue de la messe paroissiale, ou lorsqu’ils étaient spécialement convoqués, sur le préau ou place de l’église, le mayeur et les échevins faisaient savoir ce qui intéressait plus particulièrement la communauté : adjudication de terres par suite d’arrêt, " clain " ou saisie, location des terres d’église et des pauvres, défenses ou recommandations diverses et même l’annonce des jeux ou de leurs récompenses. Lorsqu’ils ne dansaient pas au son du violon, sur la place publique, les habitants se délassaient aussi de leurs soucis par des jeux de plein air : la balle, on parle du Balloy, emplacement du jeu de balle, en 1564; on cite le Belloy en 1604 et en 1632; le jeu ou l’exercice de l’arc; les Bersaux, Berseaux, à côté du cimetière, sont mentionnés dès 1705 et le mayeur J.-B. Mairesse est autorisé par le Chapitre, en août 1717, à donner 4 florins 16 patars aux archers, argent qui lui sera décompté sur son fermage (Ms 1096, f° 103). Le jeu d’arc était d’ailleurs un exercice militaire ordonné dès la fin du XVIe siècle par les Etats du Cambrésis; il a subsisté dans certaines communes comme Ligny et Villers-Outréaux.

Le jeu de l'arbalète l'a remplacé à Caullery, comme sans doute le jeu de billon, encore pratiqué, a dû succéder au jeu de balle comme jeu de plein air.

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